by Rachel Brock
Abstract [in English]: China's presence in Africa: promoting development or creating dependence? Sino-African relations date back to the early 1950s and the emergence of the People's Republic of China as an international actor, but, since 2000, China's presence in Africa has exploded. Beijing's involvement extends beyond trade to influence diverse sectors, such as infrastructure construction, national development funds, natural resource extraction, health, and a Chinese migration pattern that has now settled more than 1 million Chinese in Africa. While China claims that current Chinese-African relations foster mutual growth and development, does China's presence encourage sustainable autonomous development in Africa, or do its policies trap African countries in a cycle of dependence that ultimately hinders the development of the continent?
Les relations sino-africaines ne sont pas récentes. Dès les années 1950, la Chine cultive son rapport avec l’Afrique. Sous Mao Zedong, le régime chinois a ouvertement soutenu les mouvements indépendantistes africains. La fin de la Guerre Froide a largement modifié le rapport entre l’Afrique et la Chine, en raison de leurs croissances respectives.
A compter de l’an 2000, la présence chinoise en Afrique explose. Ce rapprochement est marqué par l’explosion du commerce et des investissements, en particulier dans les domaines de la construction, des infrastructures, et par l’arrivée d’une diaspora chinoise.
Les mutations du rapport entre la Chine et l’Afrique prennent plusieurs formes : la profondeur de l’engagement chinois, son omniprésence, quoique inégale sur le continent, et la projection internationale de la puissance chinoise. Il est toutefois évident que l’influence de la Chine en Afrique jouera sur le développement du continent.
Cette présence très controversée peut être perçue comme la volonté chinoise d’encourager le développement du Tiers monde, ou comme l’ambition d’exploiter les richesses du continent pour servir ses propres intérêts. Elle amène à se pencher sur l’effet positif ou négatif de l’engagement chinois pour les africains. Cette présence contribue-t-elle favorablement et durablement à l’Afrique, ou l’enferme-t-elle dans une dépendance ?
Nous procéderons déjà à une rétrospective du rapport sino-africain, puis nous examinerons la situation actuelle de la Chine en Afrique au niveau géographique et économique. Enfin, nous aborderons l’impact paradoxal de la présence chinoise sur le développement africain comme moteur de développement et comme créateur de dépendance limitant le progrès autonome du continent.
Lors de la conférence de Bandung en 1955, au cours de laquelle le Tiers monde est créé et le mouvement des non-alignés est né, la Chine débute une politique ayant pour objet de promouvoir l’indépendance des pays africains. Elle soutient l’idée d’exporter la révolution politique et soutient financièrement les pays africains récemment indépendants. Le soutien chinois à la prise de pouvoir par le président du Bénin, Mathieu Kérékou, en 1972, est un
exemple type de cette politique. Depuis cette date, le rapport entre les deux pays a permis la construction d’infrastructures au Bénin et a des visites présidentielles.
Cette concentration sur le soutien des révolutions se déplace vers le développement de l’Afrique sous le leadership de Deng Xiaoping, à partir de 1978. L’effondrement des blocs à la fin de la Guerre Froide met fin au soutien aux dictatures africaines par l’Occident et l’URSS. L’émergence ultérieure des démocraties, à divers niveaux de succès, crée des conditions favorables à l’investissement. La reconnaissance de la légitimité de la République Populaire de la Chine par des pays africains a aussi eu un impact favorable sur leurs rapports. Au cours des années 1990, la forte croissance chinoise et la hausse du cours des matières premières rend l’engagement sino-africain très attractif : entre 1990 et 2000, leur taux d’échange augmente d’environ 700%.
L’an 2000 marque un moment charnière. Il s’agit en effet de la date de création du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) dont l’objet est d’entretenir leurs relations. Le sommet de FOCAC en 2005 à Pékin est particulièrement important, dès lors que 35 chefs d’Etats africains étaient présents, et qu’il aboutit à un programme d’aide concessionnaire pour l’Afrique de 5 milliards de dollars. La création du China-Africa Development Fund a pour objectif de promouvoir l’investissement chinois dans des secteurs comme la production énergétique, les transports, les infrastructures, l’exploitation des ressources naturelles et l’industrie. La Chine devient alors le premier investisseur du continent africain, dépassant les Etats-Unis en 2009. En 2013, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont excédé 200 milliards de dollars.
Selon l’analyse de Jean-Francois Di Meglio, Président d’Asia Centre, « La coopération sino-africaine répond à un triple objectif de la Chine : assurer un accès aux matières premières pour son industrie lourde, offrir des perspectives de développement aux entreprises chinoises, asseoir son influence et gagner de nouveaux alliés ». La Chine a besoin de sécuriser ses approvisionnements, en particulier de matières premières énergétiques telles que le pétrole, et de ressources minières, pour soutenir sa croissance économique. A titre d’exemple, le continent africain possède environ 50% des réserves mondiales d’or et environ 75% de celles de coltan, un minerai important pour la manufacture électronique. Les marchés émergents africains sont également porteurs de nouveaux débouchés pour les entreprises chinoises. Enfin, le remplacement de l’Occident par la Chine en Afrique augmente le prestige international chinois.
Le manque de capital et l’insuffisance actuelle d’infrastructures en Afrique renforce l’attrait de ces relations pour les états africains. Pékin est un partenaire commercial qui ne met pas de conditions politiques à son aide et à ses investissements commerciaux. Les pays ont besoin d’argent pour intégrer l’économie mondiale et d’investissements dans leur infrastructure pour industrialiser leurs transports et moderniser leurs villes. Il est ainsi clair que le souhait d’un rapport sino-africain est mutuel, même si les motivations des parties sont différentes.
Il faut noter cependant que la présence chinoise n’est pas uniforme à travers le continent africain. Elle exerce une influence inégale et plutôt instable, tout en concernant néanmoins l’ensemble des pays africains. La présence géographique de la Chine est notable en Égypte et en Algérie au nord. Dans le sud, celle-ci est forte en Afrique du Sud, en Angola, en Zambie, et en Tanzanie. A l’est, la présence chinoise est importante en Éthiopie, au Soudan du Sud et au Kenya. L’accès à l’Afrique occidentale, où sa présence est limitée, est un objectif majeur pour la Chine. L’Afrique centrale attire les investisseurs chinois en raison de son abondance de ressources énergétiques, forestières, et minérales. C’est le cas en République démocratique du Congo (RDC), qui intéresse la Chine pour son cuivre du Katanga, mais également au Gabon avec les investissements pétroliers de Sinopec, et au Tchad pour ses réserves pétrolières.
Il est souvent fait référence à la diaspora chinoise dans l’analyse du rapport sino-africain. L’industrie a en effet attiré environ 1 million de Chinois en Afrique. Ceux-ci sont concentrés en Algérie et en Angola, où habitent entre 50 000 et 71 500 travailleurs chinois. Toutefois, des enclaves chinoises existent aussi au Soudan, en Éthiopie, en Guinée Équatoriale, en RDC, et en Afrique du Sud. Ces chinois sont pour la plupart des migrants individuels qui travaillent pour des grands projets, ou dans le domaine des services. En 2013, 2 000 entreprises chinoises étaient recensées en Afrique, qu’il s’agisse d’entreprises publiques, privées, ou de petites et moyennes entreprises (PME).
La présence géographique chinoise est en conséquence motivée par ses activités économiques. La Chine investit environ 2 milliards de dollars par an en Afrique depuis 2012, d’après The Washington Post, en janvier 2016. Les investissements sont pour la plupart dans les secteurs pétroliers et miniers : ces derniers représentent environ 1/3 des investissements directs étrangers (IDE) de la Chine. L’exploitation forestière et les investissements dans l’industrie manufacturière sont aussi conséquents. Il convient toutefois de noter que les investissements en Afrique ne représentent que 4% des investissements chinois mondiaux, ce qui est minime par rapport à l’Asie (68%) ou l’Amérique du Sud (13%). Ces chiffres dissipent la notion que la Chine ne se concentre que sur l’Afrique. Cependant, les investissements chinois comptent pour 42% des IDE en Afrique, pour l’essentiel en Afrique du Sud, au Nigeria, en Zambie, en Angola, en Algérie, et au Soudan.
La Chine aime présenter son engagement comme une opération gagnant-gagnant au sein de laquelle chaque partie est bénéficiaire. D’un part, la Chine finance des projets d’infrastructure, qui bénéficient aux africains. A l’inverse, le partenaire chinois est rémunéré en matières premières. Les entreprises chinoises peuvent également tester leurs produits industriels sur des marchés réputés moins exigeants.
La proximité des économies africaines avec l’économie chinoise conduit à prendre en compte les effets probables du ralentissement économique récent de la Chine. Selon Le Monde, en 2015 la Chine a drastiquement diminué sa demande de matières premières, de plus de 40% (soit environ 1,2 milliard de dollars) et ses investissements. Par ailleurs, il faut noter une baisse de 43% des importations chinoises en Afrique. Selon le journal Atlantico, les investissements directs chinois en Afrique ont ainsi baissé de 85% en 2015. Si les impacts du ralentissement chinois ne se sont pas encore manifestés, les états africains s’inquiètent des implications de cette tendance baissière.
Il est ainsi certain que la présence chinoise ne peut pas être réduite à son apport bénéfique pour l’Afrique. Il est en effet évident que cette influence également négatif. Il est nécessaire d’intégrer celle-ci dans le contexte du développement soutenable du continent africain afin d’évaluer le rôle de la Chine.
L’effet positif sur l’Afrique ne peut être réduit aux statistiques d’investissements. La Chine a pris la place de l’Occident, dont l’aide décline, pour financer les infrastructures. La Chine permet aux pays africains de conserver leur souveraineté sans imposer d’exigences politiques spécifiques, contrairement à la France et aux Etats-Unis. Quantitativement, près de la moitié de l’aide étrangère chinoise est destinée aux pays africains. Ceux-ci trouvent ainsi un nouvel acheteur pour leurs matières premières et un nouveau partenaire pour leur commerce extérieur.
Les investissements chinois en matière d’infrastructure africaine sont très importants et ont pour objectif d’améliorer les services publics et les infrastructures urbaines, en particulier les routes, chemins de fer, barrages, et l’exploitation hydroélectrique. En 2013 et 2014, les entreprises chinoises ont répondu aux appels d’offres de la Banque Mondiale et participent à la construction d’infrastructures dans 35 pays africains. En 2014, la Banque de Développement Africaine et la Banque Centrale de la Chine ont créé le fond « Africa Growing Together » afin de continuer le financement de l’infrastructure africaine. Les investissements chinois dans les chemins de fer sont particulièrement importants, et ont débuté avec la construction de la voie Tanzanie-Zambie entre 1973-1976. La ligne Addis-Abeba-Djibouti, complètement financée et construite par les Chinois, a été inaugurée le 5 octobre 2016. Ce chemin de fer a coûté 10 milliards de dollars et a pour objectif de désenclaver les économies de l’Afrique de l’Est. Le regard de la Chine se porte désormais sur la construction d’une ligne transafricaine entre Djibouti à l’est et le golfe de Guinée à l’ouest.
La Chine est également présente dans d’autres domaines de la vie africaine : des équipes médicales, dit yiliaodui, ont soigné plus de 170 millions de patients depuis les années 1960. L’armée chinoise participe aux opérations de maintien de la paix, notamment au Liberia et en RDC. Elle contribue aussi à la lutte contre le terrorisme radical. La Chine a également une activité en matière de culture avec trois centres culturels chinois ainsi que 20 Instituts Confucius, dont l’objet est de soutenir la diffusion de la culture et la langue chinoise.
A l’opposé, ce lien étroit avec la Chine enferme l’Afrique dans un cycle de dépendance qui limite son propre développement. Il convient tout d’abord de prendre en compte les implications géopolitiques et géographiques de l’influence chinoise sur le continent africain. Si la Chine obtient un contrôle majeur des secteurs essentiels, comme les services publics et les communications, elle disposera d’une influence politique incontournable. Au niveau écologique, les activités chinoises ont déjà réduit la surface agricole utile, critique pour un continent où le taux de dénutrition bascule parfois entre 34% et 36%, en 2016, selon UNICEF. De plus, la multiplication des pénuries d’eau limite l’irrigation.
L’intervention des grandes entreprises chinoises provoque une concurrence très forte sur les marchés intérieurs africains. En particulier, le prix bas de leurs produits et la disponibilité de la main-d’œuvre chinoise menacent la rentabilité des produits africains et contribue au sous- emploi, un problème historiquement persistant. Même si l’aide chinoise n’impose pas des politiques spécifiques, cette aide reste soumise à conditions, telles que l’obligation d’acheter des biens ou des services chinois. En outre, les taux d’intérêt sont particulièrement élevés, ce qui a pour effet d’accroître dangereusement la dette africaine, notamment vis-à-vis de la Chine, ce qui inquiète certains pays du continent.
Par ailleurs, les marchés africains deviennent dépendants des besoins chinois. Le prix des produits est volatile et déterminé par la demande chinoise. Certains soutiennent pourtant l’idée que la place marginale de l’Afrique dans l’industrie mondiale est uniquement liée à ses propres erreurs politiques et à une rigidité des programmes d’ajustement structurel, et non à l’intervention chinoise.
Le courant dominant de pensée estime toutefois que l’Afrique pourra augmenter sa part de production manufacturière mondiale si elle développe son infrastructure. Les Chinois sont également accusés d’avoir transféré leurs pratiques de non-respect des locaux et leurs coutumes en Afrique.
Enfin, l’échange entre la Chine et l’Afrique reste fondamentalement inégal. Selon le président sud-africain Jacob Zuma, la coopération sino-africaine est « problématique » et « non soutenable ». Cette inégalité nourrit un sentiment antichinois.
La Chine joue un rôle indispensable dans le développement de l’Afrique. D’un côté, la Chine, également en développement, promeut l’essor africain : elle contribue à renforcer l’infrastructure et comble le manque de capitaux. A l’inverse, elle exploite les ressources du continent et la concurrence pour satisfaire ses propres intérêts. Les gouvernements africains restent pour le moment ouverts à l’influence chinoise, estimant que celle-ci leur ouvre des nouveaux circuits commerciaux. Sur le long terme, il est incertain que ce développement soit durable et permette à l’Afrique de devenir autosuffisante. Si la récession chinoise continue, cette dépendance risque de diriger l’Afrique vers l’instabilité. Il est toutefois clair que la présence chinoise a eu une influence conséquente sur la trajectoire de développement africaine et que celle-ci y restera un acteur important dans le futur.
Rachel Brock is a junior at UPenn studying International Relations and French. She is the Deputy Online Editor for the SIR Journal.
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